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Quand la pub use et abuse des contes de fées…

Les contes populaires qui ont bercé notre enfance sont souvent exploités par les publicitaires pour nous faire rire, pleurer, réfléchir… Pourquoi constituent-ils une source d’inspiration majeure dans la conception des publicités? Comment sont-ils employés afin de transmettre un message percutant?

Il était une fois, une jeune femme entièrement vêtue de rouge. Elle pousse une porte blindée avant d’entrer dans un immeuble futuriste aux reflets d’acier. Face à un mur de flacons de parfum, elle en décroche un pour se parfumer et s’apprête à sortir. Mais une présence menaçante rôde: le loup. La belle le défie du regard et l’animal bat en retraite. Victorieuse, elle accède enfin à la sortie et entrevoit la dame de Fer illuminée. Ce scénario vous rappelle-t-il vaguement quelque chose? 

Il s’agit bel et bien d’une réécriture du conte du Petit Chaperon Rouge revisité par Chanel dans une publicité de 1998, réalisée par Luc Besson. Tous les ingrédients sont réunis: la cape rouge, le loup, la symbolique du passage de l’enfance à l’âge adulte. De fait, le conte de Charles Perrault est populaire dans la publicité car il traduit des enjeux de désir et met en avant une créature emblématique de l’imaginaire occidental: le loup.

Historique de l’emploi des contes dans la publicité

Ces références aux contes classiques ne sont pas nouvelles puisque, dès le XIXème siècle, des grandes enseignes vantaient déjà leurs produits en puisant dans le corpus des contes de fées classiques, souvent sous forme de séries d’image. Le Bon Marché, l’un des premiers grands centres commerciaux français, éditait par exemple des affiches très proches des illustrations de contes classiques comme celles de Gustave Doré. Cependant, contrairement à l’usage moderne de ces récits, le conte n’était pas modifié et était uniquement employé pour inciter à l’achat.

Des récits populaires et symboliques

Si les publicitaires raffolent autant des contes comme la Belle au bois dormant ou Alice aux pays des merveilles, ce n’est pas un hasard. En effet, leurs structures narratives sont faciles à identifier et connues de tout le monde. Au sein d’une même culture, les représentations sont très largement partagées puisque les contes sont constitués de signes et de symboles.

Les travaux du psychologue Bruno Bettelheim ont notamment permis d’analyser la manière dont ces récits populaires reflètent des conflits et des angoisses relégués dans l’inconscient et correspondant à des stades spécifiques du développement. Ainsi, la peur de l’abandon, le complexe d’Oedipe, le passage à l’âge d’adulte sont autant de problématiques abordés par les contes. La Belle au Bois Dormant serait par exemple une métaphore de l’interdit sexuel et de la virginité, le réveil d’Aurore représentant l’éveil aux plaisirs charnels.

Plusieurs utilisations du conte

Derrière tous ces contes adaptés pour les enfants au cinéma par Walt Disney se cachent donc des symboliques puissantes qu’il s’agit d’exploiter pour les marques, afin de diffuser un message plus percutant. Pour cela, Xavier Menaud, auteur de Marque Et Contes de Fées: Congruence Ou Divergence Sémantique?, distingue trois façons d’y faire référence : pratique, ludique et métaphorique.

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La première emploie le récit de façon concrète, sur la base d’éléments tangibles, et place le produit au centre de la publicité. La Compagnie du Lit s’appuie ainsi sur le personnage de la Belle au Bois Dormant en créant un lien logique avec la vente de matelas et de sommiers. Seconde approche : l’utilisation ludique. Le conte est tourné en dérision dans le but de faire rire le spectateur et de créer un effet de décalage.

Le contre-pied du conte

Enfin, l’emploi métaphorique du conte se base sur une lecture psychanalytique qui permet de lier un produit à un conte, non pas pour son histoire, mais pour sa symbolique. C’est le cas par exemple des campagnes de prévention réalisées par PAX, un centre engagé contre la violence juvénile. La publicité réécrit l’histoire d’Alice au pays des Merveilles avec les mêmes éléments : le lapin, la fiole, la jeune fille. C’est sans compter sur la curiosité d’Alice qui fouille un placard et y trouve une arme à feu. Sans plus attendre, elle teste ce nouveau jouet et, après une détonation, s’étend de tout son long sur le sol.

La vidéo originale se clôture sur le texte suivant: « Plus de 1/3 des foyers américains possèdent un pistolet ». Ici, le conte est détourné de façon brutale, en opposition totale avec la symbolique de l’innocence du récit original, afin de sensibiliser le public à la cause qu’est la possession d’armes à feu.

De l’usage du storytelling

Cependant, les contes ne sont qu’une des ficelles tirées par les publicitaires. Les mythes, les films, et plus largement la littérature se retrouvent au cœur de la publicité dans la mesure où cette dernière repose sur le storytelling. Cette grande machine à fabriquer des histoires est un outil indispensable pour séduire les spectateurs et les potentiels clients. Car oui, il s’agit de faire vibrer la corde sensible du consommateur en lui permettant de s’identifier aux personnages mis en scène. Et de lui promettre de vivre heureux et d’avoir pleins d’enfants.