La communication non violente, meilleure arme des communicants ?
Formée à la communication non violente (CNV), Claire Burlat, enseignante-chercheuse à Audencia SciencesCom, vient de mettre en place un cours de communication bienveillante auprès des étudiants de troisième année. Un levier majeur pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux de notre monde. Entretien.
- Qu’est-ce que la communication non violente (CNV) ? D’où vient cette discipline ?
Claire Burlat : « J’ai été formée à la CNV par mes lectures et surtout par deux formatrices merveilleuses : Malika Elkord et Maylis Boye. La CNV est une approche de la communication qui repose sur les principes de non-violence comme son nom l’indique. Elle a été élaborée par Marshall Rosenberg, un psychologue américain qui a lui-même été confronté à des violences verbales et physiques dans sa jeunesse. La CNV est une proposition de relation qui consiste à prendre conscience de la valeur des mots que nous utilisons, de leurs effets sur les autres et sur nous-mêmes. Elle nous invite à dépasser nos préjugés et jugements selon quatre étapes : l’observation de la situation, les sentiments générés par cette situation, les nôtres et ceux des autres, les besoins qu’ils recouvrent et la demande qui pourrait nous permettre de nous sentir mieux tout en tenant compte des besoins de l’autre. »
- Dans quels domaines s’applique-t-elle ?
Claire Burlat : « Tous les domaines (relations familiales, professionnelles, enseignement…) à partir du moment où l’on entre dans des échanges interpersonnels. Mais il ne faut pas croire qu’il s’agit simplement de techniques de communication. La bienveillance a le vent en poupe depuis quelque temps dans les approches managériales. Mais si elle devient instrumentale, la bienveillance n’a plus aucun sens et d’ailleurs, ce terme commence à agacer. La CNV repose avant tout sur une intention, sur un regard empathique sur soi et sur l’autre et cela nécessite une vraie introspection et un changement de focale. «
- Comment envisagez-vous son enseignement ? Quelle est la part de théorie et la part de pratique ?
Claire Burlat : « Il faut plusieurs années de formation et surtout de pratique pour devenir formateur certifié CNV par le Centre pour la Communication NonViolente (CNVC). Je n’aspire pas, et ne pourrais pas, proposer la même approche dans mes enseignements. Je m’inspire de ce que j’ai appris dans cette formation et vécu dans ma vie quotidienne depuis celle-ci, pour initier les étudiants à la communication bienveillante. Je leur parle beaucoup de moi : mes apprentissages, mes réussites et mes difficultés au quotidien, mes relations professionnelles antérieures… mais aussi de mes échanges avec les étudiants eux-mêmes ! J’illustre beaucoup mes exemples à partir de ce que je vis en tant que professeure. La CNV consiste à enlever les étiquettes et faire tomber les rôles pour pouvoir saisir les besoins de la personne et ne pas projeter le rôle qu’on attend d’elle selon son statut. La relation professeur/étudiant, qui est très codifiée, se prête très bien à cet exercice !
En tant que professeure, j’ai pu dans le passé interpréter des absences d’attention en classe comme un désintérêt des étudiants, un manque de dynamisme voire de respect vis-à-vis de moi sans chercher à comprendre quel était le besoin d’un étudiant qui se comportait ainsi. Il m’est arrivé de rappeler à l’ordre un étudiant qui pianotait sur son ordinateur partant du présupposé qu’il naviguait sur les réseaux sociaux au lieu d’écouter mon cours… alors que celui-ci était en train de chercher des informations pour approfondir ce que j’étais en train de dire ! Du coup, je me sers de cet exemple pour faire ressentir aux étudiants la différence entre une communication d’autorité « classique » dans ce genre de situation, et la CNV qui aurait supposé de décrire la situation que j’observais (un étudiant qui tape sur son ordinateur), d’exprimer mon sentiment (un inconfort) puis mon besoin (d’attention) et de demander s’il peut m’expliquer ce qu’il fait. »
- En quoi l’apprentissage par la pratique est-il primordial dans ce genre d’enseignement ?
Claire Burlat : « En réalité, la théorie de la CNV est assez simple, c’est la pratique qui s’avère plus compliquée ! Avant d’être formée, j’avais présenté la CNV aux étudiants mais seulement à travers mes lectures personnelles. Passer uniquement par l’approche intellectuelle avait beaucoup moins d’impact que ce que j’ai pu observer cette année en les faisant pratiquer. L’expérimentation permet d’ancrer les apprentissages et ce d’autant plus que les exercices passent souvent par des mises en scène assez ludiques.
Cet enseignement m’a demandé aussi d’affronter mes propres représentations. Il faut prêter attention à son corps car c’est par là que s’expriment les émotions. C’est quelque chose qui est difficile à aborder en classe pour moi car l’enseignement en France s’adresse tout d’abord à la dimension cognitive en faisant la plupart du temps abstraction du fait que celle-ci est incarnée. Pour faire face à ces difficultés, j’ai été accompagnée par ma formatrice Maylis Boye qui m’a aidé à préparer mes cours. C’était une super collaboration et une chance pour moi !
Au-delà de la pratique et de l’expérimentation, je repositionne cette approche et ses concepts dans le champ théorique des Sciences Humaines. Je parle des concepts de besoin, d’émotion, de la vision de l’être humain qui est en jeu et de la théorie de la complexité. La CNV participe pleinement à l’intelligence du complexe dans laquelle Edgar Morin nous invite à entrer c’est-à-dire, une intelligence qui relierait différentes parties prenantes, des connaissances, des disciplines, etc. »
- Pourquoi avoir décidé de donner un cours sur la communication non-violente ? Est-ce selon vous indispensable dans une école de communication comme Sciences Com ?
Claire Burlat : « La communication est l’un des leviers majeurs pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux du monde actuel et celui de demain car il va falloir coopérer bien plus qu’on ne le fait actuellement ! Les communicants les premiers doivent mesurer le potentiel de violence ou de création de lien et de sens que leurs messages peuvent véhiculer. D’ailleurs, le livre phare de Rosenberg s’appelle Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs).
Au-delà des questions éthiques, la CNV est d’une efficacité redoutable pour la collaboration. Je pense au film Demain qui a inspiré des millions de personnes. Pour moi, il s’inscrit dans l’esprit de la CNV : il porte un regard bienveillant sur des pratiques de sobriété et d’entraide jusqu’alors stigmatisées et perçues comme pénibles. Il inclut différents points de vue, montre la joie qu’il peut y avoir à coopérer, à « faire sa part », sans incriminer et sans stigmatiser. Ça change des campagnes de communication culpabilisantes ! »
- A quels étudiants s’adresse cet enseignement ? Peut-on imaginer qu’il s’étende à d’autres ?
Claire Burlat : « J’enseigne pour les étudiants de troisième année du programme SciencesCom et peut-être l’année prochaine pour la Business School. Cette approche peut s’enseigner auprès de tout type de publics. Travailler à sa gestion des émotions lors d’un échange difficile, au dialogue, à l’entente, à l’affirmation de soi… qui n’en a pas besoin ? »
Propos recueillis par Manon Novaretti