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« Ici, une femme a été violée »

Un collectif nantais contre les violences faites aux femmes s’est récemment fait remarquer pour ses  « pochoirs » anti agressions relayés sur les réseaux sociaux. Le numérique offre une caisse de résonance nouvelle à ces campagnes, sans pour autant remplacer les actions de fond 

Ces quelques mots en peinture blanche, apposés sur le sol, renvoient à une réalité glaçante. Tout au bout de la passerelle Victor Schoelcher de Nantes, on peut lire qu’à cet endroit, une femme a été agressée. Pile en face du palais de Justice ! Une vingtaine d’autres pochoirs de ce type ont été disséminés dans la ville, sur les lieux mêmes où des femmes ont, ces deux dernières années, été agressées, violées ou tuées (voir carte ci-dessous). Cette initiative « choc » du collectif RAFU (Réseau d’actions féministes unies), largement relayée sur les réseaux sociaux, s’inscrit dans un mouvement plus vaste, où de plus en plus d’associations, de collectifs, voire de particuliers, utilisent Internet pour donner de l’ampleur à leurs campagnes de lutte contre la violence faite aux femmes et le harcèlement de rue. 

Action « pochoir »

Le collectif RAFU fait partie des nouveaux acteurs de cette mobilisation. Il a été créé au printemps 2016 à Nantes après la tragique histoire d’une femme agressée dans une voiture puis traînée sur plusieurs mètres après avoir eu son manteau coincé dans la portière du véhicule. Son objectif : dénoncer les violences faites aux femmes dans les lieux publics mais également chez elles. Il rappelle que 123 femmes ont été tuées par leur compagnon en 2016, soit un décès tous les trois jours en France. Et des centaines de milliers d’autres sont victimes de violences physiques ou sexuelles au sein de leur couple.Tristes chiffres. L’action « pochoir » a précisément pour objectif de « faire une synthèse » de toutes ces violences que ce soit des agressions, des meurtres ou des viols survenus à Nantes entre fin 2015 et mi 2017. « A chaque pochoir correspond une violence spécifique », nous explique Evanne, membre du collectif.

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Des campagnes qui font du bruit

Les violences faites aux femmes n’ont hélas rien de nouveau et des campagnes de prévention existent depuis longtemps. Pour autant, les agressions continuent. D’où la volonté de ces collectifs d’utiliser la force des réseaux sociaux pour gagner en impact et faire évoluer les mentalités. C’est tout le sens de l’initiative « Paye ta shnek » ce projet participatif féministe qui lutte contre le harcèlement sexiste dans les lieux publics en relatant les propos outrageants tenus par les agresseurs. Ce projet a même été décliné dans le cadre confiné des bureaux, pour mieux dénoncer le sexisme au travail…. 

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Ou peut-être avez-vous entendu parler sur les réseaux sociaux de cette exposition à l’Université du Kansas aux Etats-Unis intitulée « Tu étais habillée comment ? ». Celle-ci présente 18 récits de violences sexuelles ainsi que les vêtements que portait chaque victime au moment de l’agression. Une manière  de briser net cette fausse idée que le pire aurait pu être évité si elles avaient porté quelque chose de pluscouvrant ou de moins sexy.

Début octobre, c’est une jeune femme qui a affolé la toile avec son compte Instagram. Elle s’est prise pendant un mois en photo avec ses harceleurs, vidéos à l’appui. Plus récemment encore, l’affaire Harvey Weinstein (harcèlement sexuel des stars du cinéma) a libéré la parole sur Twitter via le hashtag #balancetonporc (exemples de tweets ci-dessous).

 

Etude sociologique a distance

 Trois chercheuses ont récemment croisé leurs disciplines pour analyser ce phénomène (sociologie, sciences de l’information et de la communication, histoire de la science politique). Dans un article publié dans la Revue Réseaux en avril 2017, elles constatent qu’il « se produit une performativité des actions en ligne qui reconfigure les formes de militantisme et redessine les représentations du féminisme dans les médias et la société ». Dit autrement, les réseaux sociaux donnent un nouveau relief à ces actions. La représentante du collectif RAFU le constate elle-même : « Cela nous permet de rendre nos campagnes beaucoup plus visibles. Par exemple, sur notre page Facebook, nous avons du contenu qui a été vu plus de 6 000 fois ou qui a été partagé plus d’une centaine de fois… ».  

 

Comment controler l’action sur le terrain

Si ces initiatives numériques sont lancées par un noyau restreint d’activistes, elles touchent en effet un public bien plus large grâce au système de partage des réseaux sociaux. Mieux, elles incitent les femmes à s’exprimer et à se regrouper. « La fibre féministe s’étoffe ainsi autour des partages et des conversations de sociabilité en ligne pour forger une communauté virtuelle de mouvement social », expliquent les chercheuses. Pour elles, « c’est bien le signe que la parole des féministes qui se fait entendre dans l’espace numérique est au cœur des transformations de la société et continue à faire trembler l’ordre établi. »Pour autant, lutter à travers les réseaux sociaux ne peut suffire. Cette même étude nous rappelle que « l’action sur le terrain demeure essentielle qu’il s’agisse de manifestations de rue ou d’opérations de lobbying auprès des acteurs publics et des journalistes ». Si elle a été largement relayée sur Facebook, l’opération « pochoir » de RAFU montre qu’une campagne menée au cœur de l’espace public est indispensable pour marquer les esprits. « Ce qui fonctionne avec l’action pochoir, c’est que pour une fois, on rend visible et on nomme les violences faites aux femmes ». 

 

Pour aller plus loin  le terrain