Pourquoi la grande distribution verdit sa communication?
À l’heure où les consommateurs sont devenus plus soucieux de leur alimentation, les enseignes de la grande distribution en font à leur tour une priorité. Simple stratégie ou vrai tournant de société ? Éléments de réponse avec Florence Touzé, professeur de Marketing à Audencia SciencesCom et auteure de l’ouvrage « Marketing, les illusions perdues. Passons à une approche respectable » (éditions La Mer Salée).
Trop sucré, trop salé, trop calorique, trop d’additifs… depuis plusieurs mois, il suffit d’un smartphone pour traquer les produits almentaires les plus nocifs pour la santé. L’application Yuka, qui permet aux consommateurs de scanner les articles de leur choix pendant leur déambulation au supermarché, rencontre un vif succès. Avec 6 millions d’utilisateurs et 2 millions de produits scannés chaque jour , cette initiative démontre l’exigence croissante des consommateurs vis-à-vis de la grande distribution.
Conscient de cet enjeu de transparence, les magasins U ont récemment lancé leur propre application « Y’a quoi dedans ? » pour guider ses consommateurs vers une alimentation plus saine. À l’instar de son voisin Yuka, l’application lancée par Système U informe le consommateur des substances controversées au sein de leur produits. Il en va de même pour Carrefour qui a inauguré son nouveau programme « Act for Food » avec un nouveau slogan « on a tous droit au meilleur ». À travers cette campagne, Carrefour entend promouvoir le bio et bannir 100 substances controversées de leurs produits.
« Retrouver une place d’accompagnateur »
« La grande distribution, après avoir été au cœur de la vie des Français est surtout au cœur de leurs déceptions aujourd’hui, constate Florence Touzé, professeur de marketing à Audencia SciencesCom. Inciter à mieux manger c’est tenter de retrouver une place d’accompagnateur. Après les prix bas et la défense du pouvoir d’achat, reparler qualité et équilibre c’est une façon d’entendre de nouvelles aspirations du public ». Pas si simple d’être entendu comme un référent de confiance. D’autant que toutes les enseignes n’ont pas la même légitimité. « Leur modèle économique et l’ancienneté de leur engagement jouent fortement sur leur crédibilité, poursuit-elle ».
S’agissant de Carrefour et de sa campagne « Food for Act », il est trop tôt pour savoir si cette démarche laissera une trace positive. « Quand on se lance dans une campagne comme celle-là, on accepte la part de critique, parfois violente, mais peut-être momentanée, commente Florence Touzé. C’est d’ailleurs le sujet d’étude d’un groupe d’étudiants de notre école! ».
Retrouver un modèle durable et crédible
De fait, ces initiatives sont le signe que les enseignes de grande distribution se trouvent dans une situation aussi inédite que complexe. « Elles sont le symbole d’un monde passé et peinent à trouver un modèle durable et crédible, résume Florence Touzé. On peut leur jeter la pierre mais n’oublions pas que les consommateurs ont été bien contents de s’y ruer en masse, sans se poser de question, il n’y a pas si longtemps… ».
Reste à savoir si ce phénomène relève d’un mouvement de fond plutôt que d’un simple tournant marketing. « Je pense que cela va irriguer d’autres secteurs, prédit Florence Touzé. La mode y vient, il serait urgent que la Tech y vienne ». Reste à convaincre tout un pan de la population qui se sent encore peu concernée « La consommation responsable semblait être une orientation socio-culturelle parmi d’autres il y a encore peu de temps (les alters, les bobos,…), reconnaît la spécialiste. Mais les contraintes environnementales à venir et la limitation des ressources ne vont plus nous laisser le choix ».