Joker : œuvre d’art ou apologie de la violence ?
Chef d’œuvre pour certains, véritable scandale pour d’autres, le film Joker sorti dans les salles obscures en octobre dernier ne laisse pas indifférent. Utilisé comme symbole de protestation sociale dans certains pays, l’œuvre du réalisateur Todd Phillips est aujourd’hui accusée de faire l’apologie de la violence. Retour sur un film sous le feu des critiques et récemment récompensés aux Golden Globes (meilleur acteur principal et meilleure bande son).
93,5 millions de dollars. C’est la recette générée par Joker dès le premier week-end de sa sortie, directement propulsé en tête du box-office américain. Pourtant dès les premières scènes du long métrage, beaucoup le décrivent comme « dérangeant », « troublant » ou encore même « gênant ». La preuve même que le film inquiète autant qu’il fascine.
Interprété sous les traits du talentueux Joaquin Phoenix (récompensé meilleur acteur aux Golden Globes), le film nous raconte l’histoire d’Arthur Fleck, un homme dont la vie morose va basculer au point de prendre progressivement les traits du Joker, tueur psychopathe et célèbre ennemi juré de Batman.
Si dans les précédents épisodes dédiés au super-héros, le Joker était dépeint comme un personnage totalement fou, cruel par nature et dénué de sentiment humain, c’est loin d’être le cas dans ce nouvel opus. L’univers parait ici beaucoup plus réaliste et nous immerge totalement dans la vie et plus encore l’esprit de cet homme, au point qu’on en oublierait presque totalement l’univers fantastique de la série.
Un personnage victime de cruauté et d’injustice
C’est cette immersion dans la peau et les sentiments du personnage qui a conduit la presse à accuser Todd Phillips de rechercher l’empathie du public au risque d’excuser la violence du Joker. Il est vrai que dès le début, le film s’ouvre sur une scène montrant le clown se faire battre gratuitement par des petits truands de la ville. Cet événement injuste contre le personnage est loin d’être le seul. On pense notamment à la scène du métro, moment clé du film où deux personnages s’en prennent violemment Arthur Fleck à cause de ses rires intempestifs. Ce dernier souffre en effet de troubles pathologiques qui lui provoquent des éclats de rires impromptus et incontrôlables à n’importe quel instant de sa vie. Cette cruelle injustice envers le personnage marque le glissement de ce dernier dans la peau du Joker. Celle-ci ferait alors presque excuser ses agissements criminels envers ses tortionnaires.
La naissance d’une nouvelle icône moderne ?
Moqué et ignoré par tous, le clown s’enfonce alors dans la spirale de l’illégalité et règle ses comptes dans le sang. Des scènes d’une violente d’autant plus forte qu’on ne les voit pas venir… La vengeance ultime du personnage à la fin du film sonne comme une rébellion du petit peuple contre les riches et les puissants de la ville de Gotham, qui ignorent totalement les problèmes de ces derniers.
Fait incroyable, la rébellion du Joker dans le film a même eu une résonance hors des salles de cinémas. Au Liban, à Hong Kong, au Chili, où des contestations sociales ont récemment eu lieu, l’ennemi de Batman devient en effet l’icône des manifestants. Maquillés et déguisés, certains d’entre eux ont choisi d’adopter les traits du personnage qu’ils considèrent comme le symbole du rejet du système et des injustices.
Face à ces accusations qui reprochent au film un discours qui encouragerait la violence contre les institutions, on peut apporter une autre lecture. Selon son réalisateur, Todd Phillips, Joker est surtout un film humaniste sur le destin tragique d’un homme. L’histoire d’un chic type malade qui devient progressivement un criminel. Ce film est certes irrévérencieux et transgressif mais il ressemble davantage à une œuvre d’art soumise à toutes les interprétations possibles qu’à un dangereux manifeste politique.