La presse indépendante en France réduite à peau de chagrin
La presse a-t-elle perdu son statut de contre-pouvoir en France ? On est en droit de se poser la question au vu de la concentration croissante des entreprises de presse, dirigées dans leur extrême majorité par de grands groupes industriels. Coup de griffe signé Marie Le Péculier.
Retour dans l’histoire …
Rappelez-vous la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Pour ceux qui l’auraient oublié, l’article 11 stipule que « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement ». L’article 1 de la loi sur la liberté de la presse de 1881 rappelait à son tour que « l’imprimerie et la presse sont libres ». Souvenez-vous du célèbre article « J’accuse ! » d’Émile Zola en 1898, qui se servait du pouvoir de la presse pour dénoncer les injustices de l’époque. Ou de la fondation du Canard Enchaîné en 1915 par Maurice et Jeanne Maréchal pour lutter contre la propagande et la censure de la guerre. Voilà pourquoi nous aimions tant la presse : pour sa plume insoumise.
Et pourtant, le classement de Reporters Sans Frontière pour l’année 2016 ne classe la France qu’au 45ème rang mondial de la liberté de la presse. Pas si étonnant quand on sait que 95% de la presse française est aujourd’hui contrôlée par les grands propriétaires. Et comme une image vaut 1 000 mots, le mieux reste encore de jeter un coup d’œil à cette data-visualisation du Monde Diplomatique :
Ces grands groupes ont-ils une influence sur le contenu de l’information ? On est en droit de le penser. Ce n’est pas un hasard si Le Figaro n’a pas rédigé une seule brève au sujet des affaires juridiques de la famille Dassault, quand bien même elles faisaient la une des autres journaux. Le propriétaire du célèbre quotidien n’étant autre que… Mr. Dassault lui-même. L’édition spéciale LVMH des Echos n’est pas non plus surprenante lorsque l’on sait que le grand groupe possède le journal… Et c’est bien lorsque l’information est arrangée, ou pire, cachée, que nous pouvons affirmer que la presse ne tourne plus rond.
Et l’Etat dans tout ça ?
L’Etat aurait-il lui aussi une influence ? Même si ses aides à la presse sont en effet conséquentes, ne vous méprenez pas. Si leur montant s’élevait en 2013 à 400 millions d’euros, le chiffre d’affaires de la presse s’élevait lui à 7,810 milliards d’euros (source). Une proportion peu significative, donc. D’autant que ces subventions sont loin de pouvoir couvrir les frais de fabrication et de diffusion d’un journal. L’Etat possède finalement davantage un rôle de soutien à la presse – voire de bouée de sauvetage pour certains titres-, qui subit depuis 2008 une chute drastique de ses recettes publicitaires, qu’un rôle de contrôle.
Où sont les indépendants ?
Heureusement pour nous, « un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur ». Et ces irréductibles, ce sont les indépendants, qui représentent 5% de la presse française : Le canard enchaîné, Charlie Hebdo, Mediapart, Basta ! ou encore Agora Vox. Leur potion magique ? Une information foncièrement indépendante, un contenu exigeant et un modèle économique qui ne repose que sur la fidélité des lecteurs.
Même au sein des « 95% », des voix commencent à s’élever. A l’image de la journaliste Aude Lancelin, ex-directrice adjointe de la rédaction de l’Obs. Après un licenciement brutal, causé par un positionnement jugé « trop à gauche », elle s’exprime à travers son livre « Un monde libre » (récemment couronné par le prix Renaudot de l’Essai). Ainsi, elle dénonce une presse trop contrôlée après en avoir vécu les conséquences de l’intérieur.
Difficile donc de savoir où l’on va. Deux scénarios sont, pour l’heure, possibles. Le premier se dirigerait vers une amplification du contrôle des médias par des propriétaires de plus en plus présents ou, pire, des groupes moins nombreux, qui possèdent une plus grande part des médias à eux seuls. Le second, plus positif, irait vers une dénonciation plus prononcée des opposants à ce modèle, comme Laurent Mauduit avec son livre « Main basse sur l’information », qui dénonce le système de contrôle de la presse. Il souhaite ainsi provoquer une révolte des citoyens français, afin de fuir cette situation médiatique en piètre état. Et si on le suivait ?
Marie Le Péculier
Pour aller plus loin :