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« Body positive » sur les réseaux sociaux, un mouvement dénaturé ?

Symbole de l’émancipation 2.0, le mouvement « Body positive » ne cesse de prendre de l’ampleur sur les réseaux sociaux. Inclusif et salutaire, il invite toutes les femmes du monde à aimer leurs imperfections, plus qu’à s’accepter, à s’aimer telles qu’elles sont. Mais à qui profite vraiment cette tendance ?

Nous avons tous vu fleurir, dans les rayons des magasins de prêt à porter ou de cosmétiques, des gammes de produits plus inclusifs et diversifiés. Que celle ou celui qui peine encore à trouver un fond de teint de sa carnation de peau me jette la première pierre. Les grandes et petites tailles, elles aussi, s’installent timidement mais sûrement sur les portants de grandes enseignes. Qui n’a pas une fois croisé sur son feed Instagram une photo d’une femme arborant fièrement ses rondeurs, ou celle d’une autre, glorieuse et conquérante, le corps marbré par son vitiligo ? 

Personne ne passe à côté de ce phénomène : la beauté « all inclusive » est à la mode. Plus de corps de référence, plus de canon parfait, plus de modèle à suivre. Et ça fait du bien ! En théorie… Plus qu’une mode, c’est surtout une lutte, menée par des femmes pour qui la minceur, et plus généralement, les diktats de beauté ne sont plus tolérables. S’affranchir du jugement social tout en se réconciliant avec son corps, voici ce que prône le Body positive. Une noble cause dont les marques, elles, n’ont pas tardé à s’emparer pour en faire un  argument de communication.

Des images, encore des images.

Néanmoins, elles sont loin d’être les seules. Vergetures, grains de peau, cicatrices et poils sont de plus en plus exhibés par vos « instagrameuses » favorites. Pas toutes, il est vrai, mais elles sont de plus en plus nombreuses. Ainsi, les singularités du corps sont montrées, honorées, magnifiées. Voilà que nous nous retrouvons submergés d’images, toutes aussi supposément inspirantes les unes que les autres. Sur les réseaux, c’est beau, cela fait rêver ; nous nous surprenons même à imaginer un monde meilleur dans lequel nos particularités physiques ne seraient plus pointées du doigt. Mais, une fois cette bulle virtuelle percée, qu’en est-il vraiment du Body positive dans notre quotidien ? Nous aide-t-il à nous émanciper ? 

Dès lors, permettez-moi, chers lecteurs, de soulever une dernière interrogation, sans doute la plus grinçante : le Body positive fait-il autant de bien qu’il ne le prétend ? Les jeunes adolescents, en quête d’identification, cherchent désespérément à nourrir un sentiment d’appartenance. Appartenir à quoi ? A un groupe, à une communauté ; et il se trouve que le Body positive en est une. Nous avons besoin de modèles. Et, cela va sans dire, que, grâce aux réseaux sociaux, nous sommes loin d’en manquer. Véritable corne d’abondance, les images y prospèrent autant qu’elles prolifèrent. Comme un enfant devant un interminable rayon de sucreries, difficile de s’y retrouver. Noyés dans une masse photographique sans nul autre pareil, il est de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux, la lutte de l’appropriation, la volonté de briser les chaînes de la recherche du buzz.

Une démarche toujours sincère ? 

Il est indéniable que, depuis quelques années maintenant, et grâce aux longs combats menés par les féministes, le corps de la femme jouit d’une visibilité inédite. Sur les réseaux sociaux, chacun y va de son post inspirant. Une photo en maillot de bain accompagnée d’une description bien échafaudée où l’auteur y livre ses expériences et sentiments les plus intimes : mais est-ce vraiment ça le Body positive ? La démarche, sans doute plus libératrice pour celui qui poste que celui qui le reçoit, semble manquer de quelque chose. De réel peut-être. 

Lorsque, sur Tik Tok, sont apparues des vidéos de jeunes femmes se tatouant des taches de rousseur, quand, sur Instagram, ont surgi des photos d’autres dessinant des vergetures sur leur corps, difficile de ne pas s’interroger. Il est vrai que pour certaines, ce sont les symboles d’un combat. Mais pour d’autres, la particularité physique s’est transformée en faire-valoir. Sous couvert d’une pseudo-authenticité, pour beaucoup d’influenceurs, ce mouvement n’est autre qu’une manière fallacieuse de se démarquer, quitte à décrédibiliser toute une lutte. Il suffit de taper sur Instagram #bodypositive pour s’en apercevoir. Comme un label de sincérité, ce hashtag fait mouche. Pourtant, impossible de dresser la liste exhaustive des influenceuses aux corps tous aussi sculptés que sveltes qui usent de ce symbole pour en faire la promotion. 

Utilisé à tort et à travers, le Body positive ne peut plus faire sens. Il a encore du chemin à parcourir pour se rendre accessible à toutes celles et ceux qui en ont besoin tout en se protégeant des opportunistes qui, à l’image d’une sangsue, se greffent à la cause pour en exploiter tous les filons jusqu’à épuisement de son essentielle substance.