Langage : et si le féminisme l’emportait enfin ?
Le masculin l’emporte encore trop souvent sur le féminin dans notre langage. Mais de plus en plus de féministes s’attaquent à cet héritage historique.
Ouvrez vos livres d’histoire, vos manuels de littérature, cherchez, cherchez, essayez de trouver les figures féminines marquantes. Encore un effort. Non. Rien ? La langue de Molière qu’ils disent. Oui, Duras n’a jamais eu le privilège d’accoler son patronyme à la prestigieuse langue française. Mis à part quelques grandes figures du 20ème siècle, les femmes sont absentes. Elles ont été gommées de l’histoire, de la langue et de la littérature.
Si dans nos manuels de français, les femmes ne représentent que 3.7% des auteurs cités, ces dernières sont exclues du domaine littéraire dès le XVIIe siècle. Cette exclusion implique la disparition de la femme dans la langue. « Autrice », cela crisse comme des ongles sur un tableau. Pour Maurice Druon, écrivain, historien et homme politique français, « régir la langue appartient à l’Académie et à elle seule ». Et cette dernière n’a de française que son nom. Comment faire vivre une entité sans nom ni définition ? Si nous ne les nommons pas, elles n’existent pas.
Mélodie et néologie
L’absence du féminin dans la langue française a de quoi étonner. L’étymologie latine de la langue aurait bien pu mener à la féminiser davantage. Ces dernières années la féminisation des noms de métiers a fait scandale. Devons-nous rappeler, qu’en latin, les professions et les titres prestigieux suivent les règles de la première déclinaison, féminine par définition ?
Bernard Cerquiglini, linguiste et membre de l’Oulipo, explique que « la langue française a ce trait particulier que la néologie passe par l’esthétisme ». En clair, toute évolution de notre vocabulaire doit sonner juste aux yeux des Académiciens. Il va de soi que ces excuses ne visent à cacher que le conservatisme et les valeurs morales des dirigeants de la langue. Or, la langue est vouée à évoluer, car elle reflète l’état des mœurs. Il y a quelque chose de profondément politique à vouloir changer la langue. Et désormais, le masculin ne doit plus l’emporter.
iStock
Madame la présidente…
Dans Le Sexe des mots, la linguiste Marina Yaguello commente ainsi cette évolution :
« En fait, on a tellement l’habitude de voir le masculin « absorber » grammaticalement le féminin qu’on pourrait croire que le sens générique est second, alors qu’il est historiquement premier. L’homme a en quelque sorte « confisqué » symboliquement la qualité d’être humain à son profit. (…) Et c’est donc personne, grammaticalement féminin mais sémantiquement indifférencié, qui doit être employé comme terme générique. D’ailleurs, aucune femme ne dit jamais en parlant d’elle-même : « Je suis un homme. » En revanche, un homme peut dire : « Je suis une personne. »
Le 6 avril 2014, Claude Bartolone se voit dans l’obligation de reprendre Julien Aubert, qui persiste à appeler Sandrine Mazetier « Madame le président ». Fier de sa position, Monsieur Aubert dégaine son Larousse : la présidente n’est que la femme d’un président. Ô vaillant Du Bellay des temps modernes, vient donc défendre et illustrer la langue française ! Heureusement, le preux Monsieur Bartolone, intervint :
La féminisation des fonctions est inscrite dans l’instruction générale du bureau depuis 1998, et a été rappelée par le bureau lors de sa réunion du 11 octobre 2000. Il ne s’agit donc pas d’une nouveauté mais d’un usage parlementaire qui constitue l’expression du respect le plus élémentaire dû à nos collègues féminines. – Claude Bartolone, homme d’État français, membre du Parti socialiste et président de l’Assemblée nationale de 2012 à 2017.
Dire « Madame la présidente » c’est reconnaître qu’une femme puisse être égale à l’homme dans cette fonction. La langue française est un enjeu de pouvoir, savoir qui la maîtrise, c’est savoir qui a le pouvoir. Le combat pour la féminisation de la langue française n’a rien de récent. Hubertine Auclert demandait en 1898 si, pour faire pendant à l’Académie Française, « une élite féminine ne pourrait pas […] constituer une Assemblée pour féminiser les mots de notre langue, rectifier et compléter le dictionnaire, faire enfin que le genre masculin ne soit plus regardé, dans la grammaire, comme le genre le plus noble. (Le Radical, 18 avril 1898). Il faut noter que quand la féminisation a bien lieu, elle est péjorative. Il est très naturel de parler de « la secrétaire du directeur », mais cela fend les lèvres de dire « Madame la secrétaire d’état ». Lorsque le poste devient prestigieux, son nom devient masculin.
Liberté, égalité, parité
Tandis qu’aujourd’hui, le masculin est la norme et le féminin l’exception, le combat féministe s’attaque à la langue. Remanier, remodeler, renouveler, les féministes doivent user de leur créativité pour porter leur cause. Typhaine D, blogueuse, a choisi de créer « la féminine universelle », un langage épicène tout en néologismes. Dans sa recherche de parité linguistique elle veut pouvoir anéantir toute discrimination sexiste grâce au langage et à l’écriture. Ciblée par de nombreuses attaques en ligne, on l’accuse de décrédibiliser la lutte féministe. Si la jeune femme persévère à dire « c’est parfaite », pour dénoncer que dans la langue française, tout est masculinisé, d’autres femmes considèrent le combat linguistique comme vain. Pour certaines, naïves sont celles qui pensent pouvoir changer la société en changeant sa langue.
Remuer la langue
Pourtant, les usages évoluent, l’écriture inclusive fait couler beaucoup d’encre, et la « cisnormativité » se déconstruit peu à peu grâce aux médias sociaux. Si la transposition féminisée de tout notre vocabulaire peut refroidir, il est possible de renouveler son appréhension du langage.
Sur les réseaux sociaux, les comptes féministes et inclusifs ont gagné leurs lettres de noblesse. Blanche Sabbah, sous le pseudo @lanuitremueparis, publie des planches de vulgarisation sur son compte Instagram. C’est avec humour qu’elle décrypte de nombreux concepts féministes : les doubles-standards, la sororité, le concept d’allié, l’âgisme ou encore la non-mixité choisie. Ses travaux sont nourris de nombreuses autres autrices féministes, Pénélope Bagieu, Aude Picault ou encore Eve Cambreleng.
@lanuitremueparis sur Instagram
Alors, aux novices du combat linguistique, boycottez les manuels de littérature, créez votre propre Bescherelle ou votre compte Instagram, avec vos envies et faites émerger une langue qui ressemble à la société. Une langue mixte, paritaire et inclusive.