Journalisme et Médias

Médias: la tentation de l’extrême

Le traitement médiatique du Front national (FN), puis du Rassemblement National (RN), a participé à sa normalisation. Marine Le Pen et son parti ont été progressivement présentés comme une force politique parmi d’autres, minimisant la continuité idéologique de l’Extrême droite historique.

La concentration des médias français entre les mains de grands industriels, tels que Vincent Bolloré, a profondément transformé le paysage médiatique. Le groupe Bolloré contrôle notamment CNews, Europe 1 et le Journal du Dimanche (JDD). Cette mainmise sur l’information n’est pas un simple hasard économique, mais s’inscrit dans un projet politique assumé

Loin d’être la cause principale de la montée de l’extrême droite, cette concentration en a facilité la légitimation. Par une mise en scène de la politique réduite à des stratégies électorales et à un jeu d’influence, ces médias ont participé à la dépolitisation du débat public.  

Cette « dédiabolisation », renforcée par une « doxophrénie »1 s’est traduite par la survalorisation du parti dans les sondages, souvent repris sans recul par les grands médias. Comme l’explique le politologue Alexandre Dézé , cette construction “sondagiaire” a surévalué son poids électoral et renforcé son image de parti incontournable. Par effet de mimétisme, les analyses journalistiques ont parfois entériné cette perception, contribuant à installer un RN fantasmé dans l’opinion publique, élargissant inévitablement la « fenêtre d’Overton », qui désigne l’ensemble des idées, opinions ou pratiques considérées comme plus ou moins acceptables par l’opinion publique d’une société donnée.

Des thématiques imposées et des peurs alimentées

Historiquement, certains pays ont mis en place des mesures pour limiter la présence médiatique de l’extrême droite. En Belgique francophone, un « cordon sanitaire médiatique » a été instauré en 1991 par la RTBF, interdisant l’accès en direct aux représentants de l’extrême droite. Aujourd’hui le principal parti d’extrême droite belge ( VB ) et arrivé avec un score de 13,77% au dernière législative ( juin 2024 ).  Il y a 20 ans, la France adoptait une approche similaire, limitant la visibilité médiatique de l’extrême droite. Cependant, au fil des années, cette stratégie s’est érodée. Des personnalités et des idées autrefois marginalisées ont progressivement accédé aux plateformes médiatiques grand public, contribuant à leur normalisation.

Les médias d’information participent à la diffusion des thèmes privilégiés par l’extrême droite. Insécurité, autorité, immigration,  islam : ces sujets sont souvent abordés avec des angles qui renforcent des préjugés et limitent le champ du débat. La récurrence de ces cadrages conduit à une acceptation implicite des diagnostics portés par l’extrême droite, rendant ses solutions d’autant plus légitimes aux yeux du grand public. En orientant le traitement médiatique vers des thématiques sécuritaires et identitaires, en offrant une tribune aux figures de l’extrême droite et en marginalisant les voix dissidentes (RSF – “Systeme B”), ces médias ont contribué à la normalisation du discours du Rassemblement National (RN). 

Ce phénomène ne date pas d’hier. Depuis les années 1980, la course à l’audience et la recherche du spectaculaire ont déformé la perception de l’insécurité et de la précarité. Les faits divers sont montés en épingle, les reportages sur les banlieues reproduisent les mêmes stéréotypes, et les éditorialistes adoptent un ton de plus en plus répressif. Ce climat médiatique favorise l’implantation des idées d’extrême droite dans le paysage politique et renforce leur banalisation.

Une fabrique du consentement réactionnaire

La machine médiatique ne se contente pas de relayer des idées : elle façonne les termes du débat public. En laissant peu de place aux discours alternatifs, elle contribue à créer une illusion de consensus autour de la droitisation du discours politique. Cette dynamique est particulièrement visible dans la manière dont les médias ont traité certaines polémiques : la chasse aux « islamo-gauchistes », la croisade contre le « wokisme », ou encore la lutte contre les “éco-terroristes ».

Cette stratégie médiatique s’accompagne d’une « peopolisation du politique » (Jamil Dakhlia, « Peopolisation et politique », Le Temps des médias ; Juliette Charbonneaux et Thierry Devars, Communication politique). La famille Le Pen devient un sujet de saga, les chats de Marine Le Pen un sujet de chronique, et la cuisine de Jordan Bardella un angle d’article. Cette mise en scène participe à rendre ces figures plus familières et accessibles, gommant ainsi l’idéologie qu’elles portent.

Cette tentation de l’extrême ne relève pas d’un complot médiatique, mais d’un système où la recherche de l’audience et l’obsession du spectacle ont ouvert un boulevard à l’extrême droite.

–  Nora Louhichi

1 Terme utiliser par Philippe Aldrin et Nicolas Hubé, dans Introduction à la communication politique pour désigner le recours et le besoin compulsif de quantifier les opinions, notamment à travers les sondages

0 H

 C’est le temps d’antenne total accordé au Rassemblement National dans les journaux télévisés des chaînes d’information entre avril et juin 2024.

© TF1, capture d’écran 

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