Journalisme et Médias

Rire et misogynie, un duo de moins en moins accepté à la télé

Sur les plateaux de télévision, le sexisme et la misogynie ont longtemps été camouflés par des éclats de rire. Mais ces pratiques sont de moins en moins tolérées. Au point d’avoir disparu ?

“On veut tous la b**** hein”. Ces propos tenus par l’humoriste Lamine Lezghad à l’égard de la top model Camille Rowe sur le plateau du Grand Journal de Canal + remontent à 2016. Certains des chroniqueurs sont indignés, ripostent, mais la majorité rit aux éclats. Une manière de minimiser la gravité des faits, et ne pas provoquer un malaise en direct qui donnerait une mauvaise image. 

Dix ans plus tôt, en 2006, sur le plateau de Salut les Terriens de France 2. Cécile de Ménibus subit une agression sexuelle en direct de la part de l’acteur Rocco Siffredi. Une fois de plus, tout le plateau se met à rire. Rien de grave ni d’alarmant à leurs yeux. Comme si simuler un rapport sexuel avec une femme, sur un plateau de télévision, n’avait rien de répréhensible.

Philippe Marc – Visual Press Agency

Cécile de Ménibus subit une agression sexuelle en direct de la part de l’acteur Rocco Siffredi. Une fois de plus, tout le plateau se met à rire.

Le sexisme de plus en plus censuré 

Ces deux exemples illustrent à quel point la misogynie a longtemps eu libre cours sur les plateaux de télévision, camouflée par des éclats de rire. Entre les blagues de mauvais goûts, les attouchements non consentis ou encore un dénigrement constant de la place des femmes, le sexisme n’a cessé d’être banalisé par l’humour dans certains médias audiovisuels. 

La bonne nouvelle est que l’on constate une certaine évolution des mentalités et notamment des censures faites par le CSA. En 2017, le présentateur iconique Tex, de l’émission les Z’amours, avait été renvoyé pour une blague sexiste sur le plateau. « Vous savez ce qu’on dit à une femme qui a déjà les deux yeux au beurre noir ? On ne lui dit plus rien ! On vient déjà de lui expliquer deux fois ! ». Une blague qui n’aurait sûrement pas choqué le public il y a de ça quelques années, mais qui désormais, est sanctionnée. 

Pour autant, des progrès restent à faire. Le 27 septembre 2023, lors de l’émission “Touche pas à mon poste !” diffusée sur C8, le chroniqueur Alex Gouge se permet d’embrasser et de toucher les fesses de Valérie Bénaïm au cours d’une danse. L’Arcom, alertée par le sujet, vient d’annoncer le 12 mars dernier que ces faits constituaient des “manquements caractérisés” aux lois garantissant le respect des droits des femmes. Cependant, l’autorité publique de l’audiovisuel donnera simplement une mise en garde à l’émission en leur demandant de faire preuve d’une plus grande vigilance quant au respect de cette législation. Des avertissements minimes lorsque l’on sait que ce n’est pas le premier dérapage de l’émission, et d’autant plus lorsque l’auteur des faits s’en sort indemne.   

Bien que l’on constate une évolution des mentalités et de la censure à la télévision, le rapport annuel de 2024 du HCE dénonce le contraire. Au sein de la société, la misogynie persiste, et notamment chez les jeunes de moins de 35 ans. “Le sexisme commence à la maison, continue à l’école et explose en ligne”, déclare Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE, en ce début d’année 2024.

Où s’arrête la liberté d’expression ? 

Mais alors où sont les limites de l’humour ? Est-ce que cela suggère que l’on ne peut plus rire des femmes ? La liberté d’expression en France est un droit fondamental, mais seulement si elle est utilisée dans le respect de la loi. Il est important de pouvoir rire de tout, tant que les propos ne sont pas à but diffamatoire, haineux et violents. C’est la raison pour laquelle les discours portant atteinte aux femmes de manière sexiste, misogyne ou discriminante ne rentrent pas dans le cadre des droits de la liberté d’expression. 

Pour mieux dénoncer ces faits de société, le collectif Ensemble contre le sexisme, composé de 40 associations, a récemment organisé le “sexisme TV show”. À l’occasion de la toute première journée officielle contre le sexisme, le 25 janvier dernier, il a diffusé en ligne et en public une fausse émission de télévision mêlant journal télé, émission littéraire, “macho quiz” et fausses publicités. Signe que l’humour peut devenir un excellent outil de sensibilisation pour servir la cause des femmes. 

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