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Covid19 : une épidémie médiatique

En quelques mois, l’épidémie de Covid-19 s’est propagée à travers le monde, bousculant tout sur son passage, mais qu’en est-il de la médiatisation du virus ? Aussi nécessaire qu’elle soit, l’information, plus dense que jamais, semble avoir généré un sentiment d’insécurité et d’angoisse chez les Français. Décryptage à l’heure du nouveau confinement.

50% des Français qualifient le traitement médiatique de la crise sanitaire d’« anxiogène » et 43% d’entre eux considèrent que les médias ont alimenté la peur de l’épidémie. Ces chiffres ont été rapportés par l’institut de sondage Viavoice qui a consacré une étude au ressenti des Français sur le traitement de la pandémie par les médias. Cette étude a été réalisée pour les Assises du Journalisme dont l’édition 2020 avait pour thématique « Informer au temps du Covid ». Comme en témoignent ces premiers chiffres, la couverture médiatique du Covid-19 est loin de faire l’unanimité…

L’ampleur de ce sentiment tient peut-être à la surexploitation du sujet par les médias. En effet, si nous prenons comme échantillon la semaine du 16 au 22 mars 2020, on observe que 74,9% du temps d’antenne sur les chaînes d’information françaises a été consacré au Covid-19 et à ses conséquences. Cela représente un volume horaire quotidien de près de 13 heures et 30 minutes par chaîne, et cette omniprésence de la pandémie dans le paysage médiatique a duré plusieurs semaines.

L’épidémie à l’agenda

Ce que beaucoup dénoncent, c’est la couverture excessive de l’épidémie de Covid 19 par les médias (45% des sondés). Certes, la pandémie a pris une ampleur énorme à l’échelle mondiale mais pour autant, le monde ne s’est pas arrêté de tourner et de nombreuses autres actualités auraient mérité une juste place. En mettant le Covid en avant des mois durant, les médias ont d’une certaine manière créé une réalité nouvelle où le virus, omniprésent, devient le sujet principal.

Ce débat est bien antérieur à la crise sanitaire actuelle. Certains théoriciens des sciences de l’information, considérant que les médias avaient des effets puissants sur la population, se sont penchés sur la question dès les années 1960. Deux chercheurs américains, McCombs et Shaw, ont notamment développé en 1972 la théorie de « l’agenda setting » qui suggère que les médias ont le pouvoir de « fixer l’ordre du jour ».

Ces chercheurs montrent, par leurs études, que les médias, en choisissant de traiter un sujet, le mettent à l’ordre du jour et participent ainsi à la construction de notre vision du monde. Autrement dit, si les médias ne nous disent pas nécessairement quoi penser, ils sont ceux qui nous disent à quoi penser et quels sont les sujets méritant notre attention. Ils ont ainsi démontré le lien de corrélation existant entre l’importance que les médias accordent à certains sujets et la perception qu’ont les citoyens de l’importance de ces sujets.

Un « blast » qui dure

Nous pouvons donc supposer qu’il y a eu un effet en chaîne : plus les médias parlent du coronavirus, plus la population s’en préoccupe, ce qui pousse les médias à en parler davantage. C’est ainsi que la pandémie s’est positionnée rapidement comme un « blast » étonnant, qui s’est éternisé pendant des mois. En anglais, blast signifie « retentissement », « explosion ».

Quand il s’agit d’informations médiatiques, le blast est un événement exceptionnel et important qui est rapidement diffusé par les médias, parfois en direct pour suivre l’évolution de la situation. Le sujet est tellement important qu’il balaye tous les autres et devient la priorité pendant quelques heures : on ne parle plus que de ce sujet sur toutes les chaînes d’info.

Un besoin d’informations

Néanmoins, pouvons-nous blâmer les médias de nous avoir assidûment et quotidiennement tenus au courant de l’avancée de la situation sanitaire? Il faut admettre que cette période en elle-même a tout d’extraordinaire. Confinés, limités dans nos déplacements et nos activités il était difficile de penser à autre chose au printemps dernier qu’au Covid tant celui-ci teintait nos vies quotidiennes. Tous les domaines de la société ont été affectés : il était donc en réalité compliqué de parler d’un sujet d’actualité sans aborder la question de la crise sanitaire.

De plus, les chiffres nous montrent que la consommation de médias des Français a largement augmenté durant le premier confinement. Le temps d’écoute de la télévision a augmenté d’1h12 en moyenne sur cette période par rapport à l’année précédente. Le temps passé sur Internet a également connu une nette progression. Si le confinement et le temps libre qu’il a généré chez certains jouent un rôle majeur dans ces chiffres, ces derniers s’expliquent aussi par une volonté forte de s’informer de la part des citoyens. En mettant la crise sanitaire au centre de leur discours, les médias semblent répondre en réalité au besoin des Français de rester informés et connectés dans cette période d’incertitudes.

Un ton trop catastrophique ?

L’angoisse ressentie par les Français pendant cette période était peut-être moins liée à la quantité d’informations sur le virus qu’à la façon dont celui-ci a été (et continue à être) traité. D’après l’étude de Viavoice pour Les Assises du journalisme, 28% des sondés ont trouvé le traitement médiatique de l’épidémie « catastrophiste ». Le problème viendrait donc peut être du ton adopté par certains médias qui constituaient pour beaucoup la seule fenêtre sur le monde durant cette période.

 Dans un billet d’opinion publié sur le site web du Monde, une lectrice italienne a exprimé son mécontentement. Elle dénonce la tendance du journal, et de la presse française en général, à dramatiser la situation et à « résumer l’insécurité en catastrophe ». Elle écrit : « [Le Monde] devrait donner une image plus réaliste et équilibrée, et moins chargée émotionnellement, de la situation actuelle. Certes nous ne vivons pas des temps faciles, mais il faut ramener les choses à leur juste mesure ». Ce billet faisait directement écho à de précédents articles du Monde qui évoquaient, entre autres, l’ « angoisse profonde » dans laquelle l’éducation française était plongée et les « lacunes irréparables » que la fermeture des écoles pourraient provoquer en quelques mois chez les enfants. Il est vrai que le choix des mots est important et qu’une multitude d’articles nous expliquant à quel point la période que l’on vit est angoissante a tendance à … nous angoisser !

Journalisme de solutions ?

La crise du Covid a remis beaucoup de choses en question et le journalisme ne fait pas exception. Ainsi, la profession, déjà en crise, se trouve face à un nouveau défi de taille : continuer d’informer en prenant en compte les critiques du public. Adopter un ton juste sans tomber dans le catastrophisme. Face à ces nouveaux enjeux, les rédactions semblent réfléchir à de nouvelles modalités d’information. Le « journalisme de solutions » est cité comme une voie possible.

L’idée est d’aller plus loin que simplement décrire et dénoncer une situation. Il s’agit d’un journalisme « utile », qui approfondit un sujet et met en lumière des solutions ou des initiatives pratiquées à un niveau local, individuel ou institutionnel. Un moyen de regagner la confiance des lecteurs, de lutter contre l’information de surface et contre ce traitement médiatique « anxiogène » et « catastrophiste » décrié par beaucoup. Une leçon pour ce nouveau confinement?