
Du militantisme à l’‘écoterrorisme’ : récit d’un glissement sémantique
En France, le traitement médiatique de l’écologie oscille entre greenwashing et criminalisation. Depuis l’automne 2022, le mot “écoterrorisme” s’est installé dans le débat public, importé du lexique sécuritaire pour qualifier certaines formes d’activisme écologique. Son usage par Gérald Darmanin après les heurts de Sainte-Soline n’a rien d’anodin : il désigne une stratégie politique qui criminalise les luttes environnementales pour mieux contenir leur radicalité. Un glissement sémantique que les médias dominants ont accompagné avec peu de distance critique, au détriment de la compréhension des enjeux.
Le 30 octobre 2022, au lendemain d’une mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin déclare : “l’écoterrorisme doit être combattu avec la plus grande fermeté.” Par cette sortie, il inaugure une opération discursive qui mêle intention politique et stratégie médiatique : imposer une grille de lecture anxiogène de l’activisme écologiste pour l’assimiler à une menace intérieure. L’objectif est de délégitimer les formes d’action directe et justifier un agenda sécuritaire, qui s’est traduit dans les semaines suivantes par un durcissement du maintien de l’ordre, des interpellations ciblées et des gardes à vue prolongées. Selon Amnesty International, ces réactions relèvent d’une répression abusive des mobilisations, avec usage disproportionné de la force et entraves à la liberté de manifester.
Le mot sera mobilisé dans des contextes très variés : sabotage de pipelines, occupation de sites, jets de peinture sur des bâtiments symboliques… Pourtant, comme le rappelle la juriste Stéphanie Hennette-Vauchez, la plupart de ces actes relèvent de la protestation politique, et non de la terreur telle que définie par le droit international.
Le docteur en Sciences politique Julien Salingue, chercheur associé à l’Observatoire des médias Acrimed, dénonce dans une tribune le glissement sémantique orchestré dans plusieurs chaînes info : en amalgamant activisme et violence, on évacue la question centrale : pourquoi ces militant·es agissent-ils ainsi ? Le message des activistes est étouffé par la mise en scène de leurs moyens d’action.
C’est le nombre de cas de désinformation climatique au cours du premier trimestre 2025.

Crédit photo : Screenshot. Gérald Darmanin le 30/10/2022 dénonçant « des modes opératoires qui relèvent de l’écoterrorisme ».
Médias audiovisuels : entre sensationnalisme et désinformation
Une étude inédite publiée jeudi 10 avril par Data for Good, QuotaClimat et Science Feedback, trois organisations non gouvernementales (ONG) a documenté 128 cas de désinformation climatique dans les médias audiovisuels français en trois mois. On y trouve des contre-vérités scientifiques, des chroniques climatosceptiques, mais aussi une surexposition de discours alarmistes à propos de la “radicalisation” des mouvements écolos.
Les chaînes d’info continue fonctionnent à la conflictualité. La question climatique est traitée avec des narratives régressives ( Nixon, 2017 ) comme un fait divers ou un objet de polémique, rarement comme une question systémique. Cette logique va à l’encontre des principes de traitement responsable de l’urgence climatique, que certaines rédactions commencent timidement à intégrer dans leurs chartes éditoriales (Le Monde, Libération, France Télévisions…).
Derrière l’accusation d’écoterrorisme : une peur de la rupture
Ce cadrage répressif ne vise pas seulement à dénoncer des méthodes. Il sert à préserver l’ordre social existant. Utiliser le terme « écoterrorisme » revient souvent à qualifier ces luttes de dangereuses et irrationnelles, en les excluant du débat démocratique légitime. Or, les mouvements incriminés pointent justement les limites de la démocratie représentative face à l’urgence écologique.
Les figures de désobéissance civile comme Dernière Rénovation, Extinction Rebellion ou les Soulèvements de la Terre sont fréquemment décrites comme “ultras”, quand elles ne sont pas simplement criminalisées. Le recours au registre du terrorisme est une manière de dépolitiser des revendications pourtant légitimes sur les inégalités écologiques, le rôle des multinationales ou l’inaction gouvernementale.
Vers une écologie “acceptable” ?
À travers l’usage de ces cadres médiatiques anxiogènes, se dessine une écologie “autorisée” : celle du tri sélectif, des applis de covoiturage, des COP, et des présidents plantant des arbres… . Une écologie dépolitisée, déconnectée des rapports de classe et de domination, qui ne remet pas en cause les fondements productivistes du système.
À l’inverse, des médias indépendants comme Reporterre, Vert, Mediapart ou Blast offrent un espace aux luttes de terrain, en recontextualisant les actions radicales dans les enjeux climatiques globaux. Une autre manière de faire du journalisme, moins soumis aux logiques d’audience.
À l’heure où l’urgence climatique s’accélère, le traitement médiatique de l’écologie devient lui aussi un champ de bataille. L’usage du mot “écoterrorisme” illustre une tentative de contrôle narratif, visant à marginaliser celles et ceux qui refusent le statu quo. Face à cela, la vigilance critique reste une nécessité, tout comme la multiplication des récits alternatifs.

© Radio France – Franck Dubray