L’Union Européenne : la grande oubliée des médias
L’Union Européenne : la grande oubliée des médias
Comment expliquer ce vide médiatique autour de la question européenne ? Ne traduit-il pas les maux dont souffre aujourd’hui L’Union, elle qui essaye d’évoluer dans un climat toujours plus hostile ?
Moins de 3%. C’est le pourcentage de sujets consacrés à l’Europe par les journaux télévisés en 2020. Cette étude menée par la Fondation Jean Jaurès en dit long sur le désamour des médias pour l’Union européenne, de laquelle nous sommes pourtant citoyens depuis le Traité de Maastricht de 1992.
Ce problème vient en réalité de loin. Il est d’abord le résultat de l’échec de l’Union européenne à créer un espace public européen. Or, un espace public, théorisé par le philosophe allemand Jürgen Habermas, est avant tout un lieu de débat essentiel à toute démocratie, permettant l’émergence d’une opinion publique. Cette démocratie, l’Europe des 27 s’évertue à lui donner corps depuis la signature de Maastricht. Selon Michel Catala, directeur de l’Institut d’études européennes et globales Alliance Europa et professeur à l’université de Nantes, « le problème de la construction politique de l’Europe est qu’il n’y a pas d’espace public européen qui permette de porter un débat démocratique européen à l’échelle continentale.
Aussi, en qualité de citoyens, nous devrions être à-même de pouvoir participer au débat public. Mais c’est ici que le bât blesse, car un espace public, toujours selon Habermas, ne peut voir le jour que s’il existe préalablement une identité commune. Or, l’Union européenne regroupe des Etats très différents les uns des autres, qui ont chacun leur propre histoire, leur propre culture et, bien- sûr, leur propre langue. C’est un serpent qui se mord la queue : la création d’un espace public européen pourrait provoquer un sentiment d’appartenance commun entre les citoyens, aussi nombreux et différents soient-ils, mais en fait ce sentiment est la condition même de la mise en place d’un tel espace.
Le mythe d’un média européen
Michel Catala ajoute également que « l’un des problèmes pour tous ceux qui veulent faire de l’Europe une réelle union politique démocratique est l’absence de véritable média européen capable de relayer le débat public ». Il existe bien Euro News, mais il semble échouer à trouver un lectorat assez large pour avoir un réel impact. Pour certains néanmoins, il est illusoire de miser sur un média européen. Comme le précise monsieur Catala, « est-ce que l’heure est désormais à créer un journal européen, la presse écrite n’est-elle pas condamnée à vivoter? Quant aux réseaux sociaux, ils ne s’inscrivent même pas dans un espace national.»
Si la création d’un nouveau média européen relève désormais plus d’un fantasme, il incomberait ainsi aux médias nationaux de s’emparer réellement du sujet. Le journal Le Monde, par exemple, a bien essayé de sensibiliser ses lecteurs à l’actualité européenne à-travers une rubrique Europe qui voit le jour dans les années 2000. On note aussi l’apparition de médias particuliers, comme la station radio Euradio, qui s’intéresse de près à l’actualité européenne, mais de manière locale. Quant au média Contexte, journal des politique publiques françaises et européennes, il entend bien pallier le « décalage entre la réalité des lieux de pouvoir et leur couverture médiatique, et veut ainsi suivre les décisions là où elles se prennent : à Paris et à Bruxelles, où ils ont des bureaux. »
Formation des journalistes
Par ailleurs, la Commission européenne donne des subventions aux médias qui proposent des émissions dédiées à l’Europe. Néanmoins, un média national, ne peut « se positionner sur la thématique européenne (…) que par le prisme de sa nation et de sa culture, et proposera alors une vision un peu déformée. » selon Michel Catala. Autrement dit, on ne parle pas d’Europe de la même manière en France, en Allemagne, en Pologne ou ailleurs. Par exemple, les médias français parlent peu de l’actualité européenne, et de manière plus générale de l’actualité internationale, contrairement à ses voisins allemands qui en sont beaucoup plus friands. C’est alors qu’un autre problème surgit, à savoir la formation des journalistes. En effet, pour aborder au mieux la question européenne, qui est si complexe, il faut des journalistes capables d’apporter une réelle expertise. Or, il semble que les écoles de journalisme faillent à leur devoir, notamment parce que les gens ne s’y intéressent pas assez et qu’il s’agit là d’un sujet pas très vendeur. Néanmoins, selon Michel Catala, des projets sont en cours afin de créer des modules spécifiques d’enseignement sur l’Europe dans les écoles de journalisme. En revanche, des discussions pour la création d’un diplôme de journalisme européen peinent encore à aboutir. Signe que la France est encore loin de mettre l’Europe à la Une.