Passer par le podcast pour interroger les masculinités
Rencontre avec Julia Passot, fondatrice et directrice artistique de la Turbine, collectif regroupant artistes, chercheurs et citoyens pour “créer un futur désirable”. Elle vient de créer un podcast sur la masculinité du point du vue des élèves.
Quels projets menez-vous au sein du collectif ?
Nous menons à la fois des projets éditoriaux comme des articles ou des créations sonores. L’idée, c’est d’aller à la rencontre des personnes qui abordent des sujets de société de manière un peu décalée, les faire entendre, créer des contenus qui portent ces paroles. On a aussi une activité de création plutôt tournée vers le spectacle. Ce sont souvent des performances qui mêlent art et sciences, sous des formes assez hybrides. On va utiliser la danse, le théâtre, la musique. Cela permet de travailler sur des projets culturels de territoire. C’est le cas avec le projet « masculin singulier/pluriel », où on va à la rencontre d’autres publics que des gens qui sont vraiment engagés dans les transitions. Ce projet, c’est des paroles d’élèves nantais de 8 à 17 ans.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet « masculin singulier/pluriel » ?
C’est une commande du Grand T et de Stéréolux, situés à Nantes, qui ont organisé le festival « Être un homme » et nous ont sollicité pour aller écouter la jeunesse sur le sujet des masculinités et les identités de genre. On est allé faire du recueil de paroles dans 3 établissements scolaires de Nantes et de Blain. À partir de là, on a monté une création sonore dans laquelle on entremêle leurs paroles avec des interviews, des débats ou des confidences et on habille l’ensemble avec la musique d’un groupe qui parle de masculinité. Ce projet a été diffusé dans un dispositif immersif à l’école d’architecture de Nantes. Avec un étudiant en architecture, on a travaillé sur la spatialisation et on a réalisé la mise en espace sonore et visuelle de cette création. On crée les conditions d’écoute en mettant les auditeurs, les auditrices, dans un état d’ouverture par rapport à ce qu’on leur propose. L’animation visuelle choisie est méditative, poétique par rapport aux propos assez bruts des collégiens et des lycéens sur la masculinité. On n’a pas cherché à édulcorer leurs paroles.
Banque photos de Canva et Photo Midjourney
Suivant les réalités, les contextes sociaux, nous nous sommes pas mal remis en question.
Julia Passot
Aviez-vous des attentes autour des réponses des élèves ?
Nous ne sommes pas des spécialistes, mais on s’est bien penché sur les questions du genre et de la masculinité en amont donc je pense qu’on est arrivé avec un petit peu d’attentes. Suivant les réalités, les contextes sociaux, nous nous sommes pas mal remis en question. Ces réalités nous ont un peu secouées, on est sortis de notre prisme de chercheur et chercheuse un peu à la pointe de la pensée sur des sujets de société. C’était chouette pour nous comme pour eux. Sur les questions autour de l’identité sexuelle ou le genre, l’âge et le contexte social et culturel jouent énormément. Entre les promos de l’école des beaux-arts et les classes de collège Segpa à Blain ou du lycée Albert Camus des Dervallières, on est dans des mondes extrêmement différents. On a aussi interrogé des enfants d’école élémentaire dans une école publique de centre-ville de Nantes et là effectivement, il y a une histoire d’âge. Les questions sur l’identité sexuelle et de genre, elles se posent au fur et à mesure de l’évolution des enfants et du passage de l’enfance à l’âge adulte. Et puis, il y a des schémas et des stéréotypes spécifiques à chaque milieu, à chaque âge.
Une réponse, une réaction ou des comportements vous ont-ils marqué pendant la réalisation de ce projet ?
On a été très bousculés dans ces rencontres-là. On a toujours été dans une posture d’écoute, on était là pour leur poser des questions et faire émerger la parole et les écouter, en aucun cas être dans le jugement. C’était assez complexe pour nous : il y avait des propos qui pouvaient être tenus sur les questions de la masculinité, du féminisme, du patriarcat, qui étaient parfois assez durs et à la limite du répréhensible par la loi (insultes, homophobie, propos sexistes ou insultants) Il fallait toujours trouver la bonne posture, à la fois les mettre en confiance pour faire émerger la parole sans avoir de tabou ou de politiquement correct et en même temps, placer les limites du respect. Il y avait toujours un milliard de fois plus de nuances que ce qu’on pourrait imaginer, suivant le contexte social. Ce qui nous a marqué, c’était que plus les enfants étaient grands, plus on allait vers l’adolescence et l’âge adulte, moins il y avait d’espoir mais c’est très lié au contexte social aussi je pense. Ce qui était bien, c’est qu’on est allé se confronter à des réalités, qu’on ne côtoie pas habituellement. Dans certains endroits il y a un cumul de difficultés qui font que certaines questions passent derrière d’autres priorités. Malgré ça, il y a quand même des nuances et des rêves, il y a quand même des choses, des débats qui émergent. Quand j’étais à leur âge, par exemple, je n’ai pas entendu parler des questions identitaires, je trouve ça très positif. Ils ont aussi beaucoup parlé des règles, moi à cet âge c’était totalement tabou d’en parler, aujourd’hui même les garçons en parlent. Et puis ce qui est intéressant aussi c’est que quand on les interroge de manière individuelle ou en groupe, on obtient des choses très différentes.
Où peut-on retrouver votre production ?
Elle a été diffusée lors du festival « Etre un homme » le 4 février 2023 avec une version en 2 épisodes de 15 minutes. Depuis, elle poursuit son chemin sur les ondes radio et va continuer sa vie en diffusion sur les différents players (Spotify, Deezer) et sur les sites des différentes organisations.