Droits télés : récit d’une remontada façon Canal +
Droits télés : récit d’une remontada façon Canal +
Evincé de la négociation des droits télé pour la période 2020-2024 du championnat français de football, Canal + est revenu en force ces derniers mois, profitant de la dégringolade du groupe sino-espagnol Mediapro. Retour sur une histoire rocambolesque qui se chiffre en centaines de millions d’euros…
C’est l’histoire d’une idylle qui n’aura pas duré. Le 29 mai 2018, le comité de pilotage des droits TV de la Ligue 1 pour la période 2020-2024 délibère : la Ligue française de Football (LFP) vend les droits du championnat français pour un montant record de… 1,153 milliard d’euros. Cela représente une hausse de près de 60 % par rapport à l’ancien appel d’offre (762 millions d’euros pour la période 2016-2020). C’est le néophyte Médiapro, qui diffuse depuis deux ans le championnat espagnol, qui remporte le gros lot.
Ce groupe catalan, piloté par un fonds privé chinois, diffusera 8 matchs sur 10 et s’impose donc, à l’image de BeIn Sport en 2011, comme le nouveau mastodonte dans la diffusion du football français. Canal + est pour l’instant absent des discussions car les deux derniers matchs ont été remportés par BeIn Sport. Un moment inédit pour la chaîne cryptée qui diffusait seule le championnat depuis 1984.
Cet appel d’offre se distingue par la modification des horaires des matchs. Le traditionnel multiplex du samedi soir est replacé le samedi à 15h. Un match « premium » aura lieu le samedi à 21h et une rencontre aura lieu le dimanche à 13h afin de cibler le marché asiatique.
Le gros lot pour la Ligue 1
L’arrivée de stars du ballon rond en France, combinée à la constante inflation dans le football (salaires et transferts) justifient cette somme folle, qui place le championnat français en 3e position des championnats les plus chers d’Europe, derrière le géant anglais et le voisin allemand. C’est donc, à la base, une très bonne nouvelle pour le football français. La présidente de la LFP Nathalie Boy de la Tour salue alors « un appel d’offres fructueux, avec une augmentation significative de nos droits TV », face aux micros des journalistes, à l’issue des délibérations.
Mais certains signaux ne sont pas très rassurants quant à la fiabilité du groupe Mediapro dirigé par Jaume Roures, homme d’affaire catalan. En 2018, après avoir raflé la mise sur le football français, le groupe espagnol s’était vu retirer les droits du football italien par la ligue transalpine. Cette dernière estimait en effet que Médiapro ne disposait pas des garanties nécessaires.
Une manne financière essentielle
En 2015-2016, les droits TV représentaient un peu plus de 44 % des recettes des clubs de Ligue 1 (hors transferts) d’après les chiffres de la LFP. Cette part varie énormément suivant la capacité des clubs à trouver d’autres sources de revenus. Leurs recettes se divisent principalement entre les droits TV, les transferts, la billetterie, les sponsors, la publicité ainsi que d’autres produits financiers.
A la suite de cet appel d’offre aux chiffres impressionnants, les 20 clubs de Ligue 1 décident de diviser entre eux les 400 millions d’euros supplémentaires. 20 millions d’euros sont donc censés être distribués à tous les clubs. Quand on sait que le budget du Stade Brestois 29 pour la saison 2019-2020 est de 30 millions d’euros, cette rentrée d’argent viendrait presque doubler l’avant dernier budget de Ligue 1.
Canal + revient dans le match
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le 9 décembre 2019, la chaîne cryptée frappe un grand coup en rachetant les deux matchs par journée à BeIn Sport. La chaîne historique du football perd des abonnés depuis plusieurs années. Elle diffuse de moins en moins de football et ne peut pas se passer de ces deux matchs. Cela aurait été une première depuis sa création en 1984. Certes, Canal + possède les droits du championnat anglais mais une année blanche en matière de football français aurait été un vrai coup dur.
BeIn Sport accepte finalement de lui céder ces deux matchs, car la chaîne détient déjà les droits télés du football italien, espagnol et allemand. De plus, Maxime Saada, président de Canal +, a annoncé lors d’une interview au Figaro que Canal + devenait le distributeur exclusif de BeIn Sport pour 5 ans. On comprend mieux pourquoi le deal a pu fonctionner.
Le début des ennuis
Début octobre 2020, les ennuis commencent. Le groupe sino-espagnol Mediapro doit régler 172 millions d’euros à la LFP. C’est le deuxième versement après celui du mois d’août, qui avait été payé en retard. Médiapro demande alors un délai de paiement supplémentaire en se justifiant par rapport à la crise de la Covid-19. C’est une somme d’argent importante pour les clubs français qui doivent rembourser un prêt garanti par l’Etat contracté lors du confinement. Après le refus du diffuseur de régler sa facture d’octobre, la LFP décide donc de mettre en demeure Médiapro et d’actionner la garantie fournie par l’actionnaire.
Médiapro se trouve alors dans une situation financière intenable. La crise de la Covid-19, combinée à l’échec de sa chaîne Téléfoot qui ne compte que 600 000 abonnés, bien en deçà des 3,5 millions espérés, la plonge dans le rouge. Fin avril, l’agence de notation Moody’s dégrade la note de la holding propriétaire du groupe, Joye Media, à B3 contre B1 auparavant, ce qui correspond à un « haut risque » de non-remboursement.
La bataille juridique
Le 5 décembre 2020, Médiapro manque une nouvelle échéance de paiement. La situation n’est pas surprenante étant donné qu’un processus de conciliation est en cours entre le diffuseur – Médiapro via Téléfoot – et la LFP depuis le 19 octobre afin de tenter de renégocier au rabais les droits de diffusion du championnat français. La LFP se retrouve donc avec plus de 350 millions d’euros d’impayés. La situation pour les clubs devient critique.
La justice tranche le 22 décembre 2020, et acte le retrait du groupe sino-espagnol en vue de la réattribution des droits télés de la Ligue 1. Il est entendu que Médiapro diffusera les matchs jusqu’à la réattribution des droits à un autre diffuseur. Canal + et son allié BeIn Sport se positionnent donc en favoris, même si, Maxime Saada, PDG de Canal, assure alors ne pas vouloir « réinvestir à perte dans le football » dans les colonnes des Echos.
Quid du nouveau diffuseur
Le 1er Février, la LFP lance un appel d’offre exceptionnel afin de réattribuer les droits de diffusions de la « Ligue des talents ». Canal + et BeIn Sport boycottent cet appel et aucune offre n’atteint le prix de réserve, un flop. En effet, la chaîne cryptée possède toujours deux matchs par journée pour 332 millions d’euros et souhaite renégocier la totalité des droits à un prix « post-covid », évidemment plus bas que le prix initial.
Plus d’un mois après la décision de la justice, Médiapro diffuse toujours le championnat et l’autorité de la concurrence donnera sa décision quant à la « remise en jeu » du lot détenu par Canal +.
Coup de théâtre, le 4 février dernier, la chaîne cryptée annonce récupérer les droits du championnat français après un accord avec la LFP. Cet accord ne couvre que la saison 2020-2021 et les clubs français ne toucheront finalement « que » 680 millions d’euros à la place des 1,2 milliards prévus initialement.
Passé de l’oublié du premier appel d’offre à unique diffuseur de la Ligue 1, Canal + a su mener sa barque, tout d’abord en rachetant deux matchs à BeIn Sport, puis en profitant de la fin de Téléfoot. La chaîne cryptée s’avance donc comme le grand favori pour le prochain appel d’offre, prévu à l’issue de la saison.